Une entreprise peut-elle publier des commentaires négatifs sur une marque sur les réseaux sociaux ?
Le but de cet article, initialement publié dans le magazine LEX MERCATORIA, est de commenter brièvement la situation juridique dans laquelle se trouvent les entreprises propriétaires de marques protégées en cas d’attaques de leurs marques sur les réseaux sociaux affectant leur réputation et leur image et d’expliquer quels sont les moyens possibles pour se protéger contre de tels comportements.
À l’ère d’Internet et avec le développement rapide des réseaux sociaux, les dossiers nous étant confiés et ayant accès aux tribunaux dans lesquels ces questions sont problématiques sont de plus en plus fréquents. En effet, de plus en plus d’ entreprises propriétaires de marques sont attaquées sur les réseaux sociaux par d’autres personnes qui peuvent être des particuliers ou , surtout ce qui intéresse aux fins de cet article, des entreprises concurrentes dans le même secteur. En effet, avec l’ampleur et la diffusion massive que permettent les réseaux sociaux, un concurrent pourrait avoir la tentation, si samarque est moins connue, d’utiliser, à titre de publicité comparative, le nom d’une marque déposée plus connue du secteur, pour générer de la publicité sur les réseaux, provoquer une influence sur les consommateurs finaux potentiels, et profiter de cette marque réputée et, en même temps, se distinguer de cette dernière en se plaçant sur un pied d’égalité.
En approfondissant le sujet, on pourrait se demander si, sous la protection de la liberté d’expression ou d’une pseudo activité promotionnelle, sur Internet, tout est permis et quelles sont les limites et les éventuels mécanismes de protection ouverts aux titulaires de marques.
Les limites de la légalité des commentaires publiés sur les Réseaux Sociaux à propos d’une marque protégée
«La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres»
Rousseau, J.J., Le contrat social, 1762
Dans le domaine des marques, la liberté d’expression des concurrents potentiels dans le secteur d’une marque protégée est limitée à la protection conférée par l’enregistrement d’un titre de marque, à la loyauté de l’usage et à l’honneur de l’intéressé.
Cette protection est prévue, en premier lieu, par le droit positif dans la législation sur les marques, en particulier, en droit espagnol, dans la loi espagnole sur les marques et également dans le règlement sur les marques communautaires de l’Union européenne, en fonction du titre enregistré.
En raisonnant, de manière générique, sur les limites de la légalité des commentaires négatifs contre une marque protégée sur les réseaux par des concurrents, il apparaît clair que toute activité promotionnelle n’est pas légale et que tout commentaire ne l’est pas forcément non plus, dès lors que, selon les commentaires, notamment ceux négatifs, une atteinte pourrait être portée à l’une des fonctions essentielles de la marque, c’est-à-dire la fonction qui condense son prestige. C’est sur ce prestige, créé par l’effort et le travail, que repose la valorisation économique de la marque. La protection de la marque par son propriétaire est une obligation de protéger la valeur de votre entreprise. Des marques renommées comme Zara ou Louis Vuitton ne vaudraient pas ce qu’elles valent sur le marché sans les efforts déployés pour protéger cet actif immatériel. Surtout dans le secteur de la mode, le monde du droit de la mode est l’un des plus sensibles aux attaques de ce type.
Une première limite se trouve dans le règlement sur les marques à l’article 9.2 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (ci-après dénommé le « RMUE »), qui prévoit « Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt de la demande ou la date de priorité de la marque de l’Union, le titulaire de la marque de l’Union est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque: c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice ».
La jurisprudence européenne de la Cour de Justice de l’Union européenne a ainsi eu l’occasion de le rappeler en fixant comme limite l’usage conforme aux bons usages au sens de l’article 6.1 c) de la directive 89/104 (parmi lesquels on peut mentionner l’arrêt CJUE du 17 mars 2005 C-228/03) également été confirmé par le Tribunal des Marques Communautaires d’Alicante (entre autres, décision du Jdo. De lo Mercantil Alicante/Alacant n° 1, S 03-09-2016 , n° 183/2016, rec. 184/2015, affaire n° 184/2015).
Une deuxième limite pourrait être trouvée dans la législation sur la concurrence déloyale étant donné que la Loi pour la Défense de la Concurrence Déloyale (« LCD ») interdit certains actes considérés comme déloyaux commis par des concurrents tels que les actes de dénigrement (art. 9 LCD), les actes consistant à profiter de la réputation d’autrui (art. 12 LCD) et les actes de comparaison avec la publicité illicite (art. 10 LCD).
En ce qui concerne la jurisprudence, on peut trouver des cas très fréquents en matière de marques où une marque accuse une autre de l’avoir publiquement copiée. Les copies sont une réalité concrète qu’il convient de combattre et contre laquelle les titulaires de marques protégées doivent être attentifs et vigilants. Dans la jurisprudence, nous pouvons trouver des cas dans lesquels des concurrents ont fait des commentaires négatifs sur la marque d’un concurrent, donnant au marché l’impression que les produits du concurrent seraient, par exemple, des copies des produits du diffuseur dudit message, (SAP Alicante, sec. 8ª. , S 28-01-2011, nº34/2011, rec. 620/2010).
De même, nous pouvons citer, certaines affaires ayant eu un grand retentissement comme celle de l’entreprise IMPLANDENT, dans un arrêt rendu par par la Cour d’appel de Barcelone du 27 mai 2005, n°. 257/2005 dont le considérant 5 affirmait : « […] En effet ; En ce qui concerne le premier, l’utilisation du terme «ses copies» pour désigner les produits IMPLANDENT, fait percevoir au destinataire que les pièces fabriquées par le demandeur sont des copies des pièces fabriquées par KLOCKNER, d’autant plus si l’on garde à l’esprit qu’il est alors fait référence à « nos pièces » (avec nos pièces), suggérant ainsi l’élément de comparaison qui précise en tout cas ce qui est qualifié de copie, le tout dans un contexte d’affrontement entre les deux sociétés motivé par un soupçon puis une plainte de copie du système breveté par KLOCKNER ».
Une autre troisième limite résiderait dans la protection du droit fondamental à l’honneur prévu à l’article 18 de la Constitution espagnole. Ce droit fondamental à l’honneur est reconnu aux personnes physiques et depuis quelque temps, en principe, également aux personnes morales.
La protection des marques attaquées sur les réseaux sociaux
Il existe différents moyens de protection en cas d’attaque de la marque sur les réseaux sociaux. Ces moyens de protection se concrétisent par l’introduction d’une action en justice contre la personne auteur de la contrefaçon et son articulation par les moyens de la législation de protection des marques et de la concurrence déloyale ou, le cas échéant, par la protection du droit à l’honneur. Nos tribunaux ont eu a connaitre d’affaires similaires à travers des commentaires exprimés dans des médias plus traditionnels et connaissent de plus en plus de cas où de tels commentaires sont tenus sur les réseaux sociaux.
Chacune de ces actions judiciaires répond à des critères précis qui doivent être remplis pour son succès cet qui requiert un travail de fond important pour préparer l’action et sa défense. D’autant plus en raison de la complexité des preuves que peuvent présenter les réseaux sociaux.
Par ces actions, le titulaire de la marque peut notamment obtenir d’un juge qu’il interdise et condamne l’auteur de la contrefaçon à cesser dans l’usage illicite de la marque, que la personne soit condamnée à une indemnisation pour le préjudice subi, dont le montant peut être très élevé selon les cas, et, en outre, ce qui peut être plus pertinent, que le délinquant soit obligé de publier la décision de justice qui le condamne dans divers médias pendant un certain temps.
L’indemnisation et la publication de la décision dans les médias sont particulièrement importantes en raison des dommages à la réputation que ce type d’affaire peut générer.
Concernant l’indemnisation, la première chose est de la quantifier, ce qui n’est pas toujours évident. En règle générale, des dommages et intérêts peuvent être demandés pour les dommages directs, le manque à gagner ainsi que pour le préjudice moral. Le concept le plus controversé est peut-être ce dernier. Il a été débattu dans la jurisprudence de savoir si la marque était titulaire d’une action en dommages moraux et la réponse de nos tribunaux a été affirmative, parmi lesquels on peut notamment citer un récent arrêt de la Cour suprême (STS, 2 juillet 13, 2023 nº rec. 5315/2021) qui reconnaît aux sociétés CHANEL SAS et BIMBA & LOLA le droit d’être indemnisées en dommages moraux pour le préjudice de réputation causé, affectant la réputation des marques protégées qui compromettent, directement ou indirectement, les éléments immatériels. d’exclusivité et d’engagement pour la qualité que les marques visent à transmettre à tous les consommateurs.
Concernant la publication, cela est dû au besoin de réparer les dommages subis et d’informer le marché qui pourrait avoir été influencé par un tel comportement non conforme à la loi. La publication peut être à la fois essentielle pour la marque qui a subi de telles attaques et en même temps très dangereuse pour l’auteur de la contrefaçon condamné. Dans les secteurs où l’entreprise s’appuie sur la valeur des actifs incorporels, ce type de décisions est essentiel pour renforcer l’image de marque.
Conclusions
En cas d’attaque d’une entreprise du secteur sur les réseaux sociaux contre une marque, il convient, dans un premier temps, d’analyser le dossier et d’analyser les différentes options proposées. Il n’est pas conseillé de tolérer des attaques de ce type, car elles pourraient créer des précédents et vous pourriez, le cas échéant, perdre vos droits de réclamation à l’avenir, et ce, même si cela peut paraître fastidieux au propriétaire de l’entreprise d’engager une longue procédure judiciaire.
Bibliographie
- ROUSSEAU, J.J., Le contrat social, 1762.
- Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement
- Européenne et Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne.
- Loi 3/1991, du 10 janvier, sur la concurrence déloyale.
- Constitution espagnole.
- Arrêt Cour de Justice de l’Union Européenne, du 17 mars 2005, C-228/03.
- Arrêt de la Cour suprême, 13 juillet 2023.
- Jugement du Tribunal de Commerce d’Alicante, 3 septembre 2016, n°. 183/2016.
- Arrêt de la Cour d’appel d’Alicante, 28 janvier 2011, n°. 34/2011.
- Arrêt de la Cour d’appel de Barcelone, 27 mai 2005, n°. 257/2005.